Alors que nous quittons la Bolivie après trois semaines passionnantes mais dures physiquement (quel froid !), le pays s'apprête à vivre un évènement politique important. Le 10 août, Evo Morales remet sa légitimité en jeu en soumettant les Boliviens à un référendum. Son objectif : pousser les gouverneurs de province de l'opposition à la démission et éviter l'indépendance de Santa Cruz, la région la plus riche du pays. Au vu de nos rencontres, il devrait pouvoir compter sur le soutien sans faille des classes populaires. Il est pour eux le symbole du changement, un président indigène intègre qui veut améliorer le sort des plus pauvres en redistribuant les richesses. Le sous-sol bolivien regorge de ressources naturelles et Morales entend bien en tirer meilleur profit. Preuve de cette ferveur : les slogans politiques, les portraits du leader et les messages de soutien (EVO SI !) qui couvrent les murs du moindre petit village.
A La Paz comme à Sucre, nous observons que les grévistes français ne sont pas les seuls à profiter des périodes à fort enjeu politique : enseignants, paysans, mineurs, tous se succèdent dans la rue pour arracher une augmentation de salaire ou une retraite anticipée. Les affrontements avec la police sont parfois rudes, à l'image du caractère de ce peuple, habitué à vivre dans la pauvreté et dans des conditions extrêmes. Une misère qui nous saute aux yeux davantage qu'ailleurs car beaucoup vivent à plus de 4000 m d'altitude, sans chauffage, sans toilettes, sans eau chaude et avec une terre ingrate à cultiver. Santos, que nous rencontrons sur l'Altiplano, a 14 ans mais encore une taille d'enfant, sans doute à cause de problèmes de malnutrition. Et alors que nous nous emmitouflons sous de multiples couches de vêtements, il marche pieds nus en sandales.
Tupiza est notre première étape en Bolivie, et le point de départ de notre tour dans le sud-ouest bolivien. Mais avant de partir, nous explorons les canyons des alentours, tous plus surprenants les uns que les autres (Puerta del Diablo, Valle de los Machos, Canon del Duende).
Coup de chance : au moment de réserver notre expédition dans le Salar d'Uyuni, nous rencontrons deux sympathiques Suisses, Aurélie et François, avec lesquels nous allons partager 5 jours de voyage en compagnie de Sebastian notre chauffeur et Carmen notre cordon bleu. Heureusement que tout ce petit monde s'entend bien, car nous passons nos journées enfermés dans notre 4x4 Land Cruiser, à avaler des kilomètres et à écouter en boucle le hit-parade bolivien. Les paysages, il faut le dire, sont superbes. La piste nous emmène en plein coeur de la cordillère des Andes, au milieu de volcans qui flirtent avec les 6000 m d'altitude et de lacs gelés. Quelques rares maisons isolées, et pour compagnie des troupeaux de lamas avec leurs bergers, des vigognes (cousin sauvage du lama) et quelques autruches (si, si...) qui détalent à notre arrivée. Nos logements sont rudimentaires, les douches inexistantes pendant 4 jours (mais heureusement il y a les lingettes) et dehors le thermomètre descend jusqu'à -20 degrés. Nous dormons en Damart, le bonnet vissé sur la tête, enserrés dans un chaud duvet et avec deux couvertures par-dessus. Notre chauffeur, quand il ne conduit pas, passe son temps à draguer la cuisinière, en omettant quelques détails sur sa situation matrimoniale... Nous terminons ce tour en beauté, au lever du jour, au milieu d'une mer de sel de la taille d'un département français, le salar d'Uyuni.
A peine rentrés, nous apprenons que trois touristes ont été tués dans un accident de voiture sur ce salar, pourtant totalement plat. Cela ne nous étonne guère. Le plus dangereux en Bolivie ce sont les routes, étroites, en mauvais état et surplombant le vide, et les chauffeurs, parfois ivres, qui roulent toujours trop vite et qui passent leur permis de conduire en deux jours !
Après le désert et l'inconfort, place au petit bijou colonial qu'est Sucre. C'est là que l'indépendance de la Bolivie a été déclarée en 1825, et la ville porte le nom de l'un des libérateurs du pays (avec Bolivar). De là, nous ferons une petite escapade à Tarabuco, où se tient tous les dimanches un grand marché régional. S'y mélangent touristes et Andins aux costumes traditionnels, les premiers, l'oeil vissé derrière l'objectif, prenant parfois les seconds pour des bêtes de foire.
Frissons garantis lors de l'atterrissage à La Paz, juste au-dessus des toits d'El Alto. Le centre-ville apparaît au fond de la vallée, 400 m plus bas, tandis que le reste de l'agglomération s'étend sur les flancs encaissés.
Mais les 36 ans d'Emmanuel approchent à grands pas et il aimerait à cette occasion faire l'ascension de l'un des sommets que nous admirons de loin depuis notre arrivée en Bolivie. Nous mettons donc le cap sur Sorata, à 3 heures de La Paz, pour qu'Emmanuel s'habitue à l'altitude au cours d'une première randonnée. Sur place les guides de montagne font leur révolution. Toutes les agences viennent de fusionner pour faire monter les prix et le chef de file s'occupe des négociations pendant que les autres sont assis en rang d'oignon et écoutent passivement. Les prix sont à la tête du client et les nôtres ne doivent pas lui revenir car il commence par nous demander le double du prix normal. Sophie et Christian, rencontrés à Sucre, se joignent finalement à nous et nous permettent d'obtenir un tarif plus décent. Les 1000 mètres de dénivelé du premier jour sont avalés sans souci en trois heures. Après une nuit fraîche et humide au milieu des nuages, les 1000 mètres du deuxième jour sont beaucoup plus éprouvants que prévu, sans doute en raison du manque d'oxygène entre 4000 et 5000 mètres. Des vues superbes sur le volcan Illampu et le lac Titicaca en contrebas récompensent nos efforts. Nous atteignons finalement la laguna Glacial (il s'y jette un glacier) après 5 heures d'ascension et quelques minutes seulement avant les nuages qui nous poursuivent depuis le petit matin du fond de la vallée.
C'est sans avoir récupéré de cette randonnée, avec un genou gauche qui fait mal et une grosse appréhension qu'Emmanuel attaque l'ascension du volcan Huayna Potosi. Il est rapidement rassuré par le professionnalisme de son guide Fostino et par la qualité du matériel. Les deux heures de montée au camp de base à 5200 mètres sont faciles malgré les chutes de neige et l'excitation a pris le pas sur l'appréhension. Petite nuit, lever à 1 heure pour un départ à 2 heures avec tout l'attirail de l'apprenti haut-randonneur : casque, piolet, crampons, harnais. C'est le début d'une très lente et très longue ascension dans la nuit noire, sur la neige gelée. La Paz apparaît plus tard sur la gauche, toute scintillante. Tout va bien jusqu'à 6000 mètres et l'attaque des 100 derniers mètres de dénivelé nous séparant du sommet. Cela semble tout proche et pourtant c'est un vrai calvaire. La progression se fait au piolet, dans la douleur, avec le coeur qui bat la chamade et des pauses toutes les dix minutes. C'est un soulagement d'atteindre l'étroite arrête du sommet a 6088 mètres, même si des vents violents soufflent et que la température approche les -30 degrés. Mais manque de chance, le sommet est noyé dans d'épais nuages alors que le soleil s'est levé et on ne profite pas de la vue sur le reste de la Cordillera Real, qui doit être pourtant extraordinaire.