"YOU BUY SOMETHING FROM ME ? YOU BUY SOMETHING FROM ME ?"
Le Nord-Vietnam nous a offert les plus beaux paysages du Sud-Est asiatique que nous ayons vus jusqu'ici. Mais le voyage là-bas n'est pas de tout repos si vous sortez des circuits organisés. La chasse aux touristes est ouverte, le dollar est roi et l'étranger la poule aux oeufs d'or... Au programme, harcèlement à longueur de journée, tarifs gonflés pour les "Farang" (les étrangers), voire petites arnaques en tout genre. En voici un échantillon... Ça commence dès notre passage de la frontière chinoise. Nous prenons un hôtel pour nous reposer quelques heures avant de reprendre un bus. Le propriétaire nous annonce un prix de 100 000 dong. Au moment de partir, lorsqu'on lui tend un billet, il nous informe sourire aux lèvres que c'est 100 000 dong... par personne. C'est tellement gros que lui-même abandonne la partie quelques instants plus tard. Quelques jours après, nous prenons un taxi à 5h du matin et nous mettons d'accord pour une course de 30 000 dong. Erreur fatale, nous n'avions pas de monnaie. A l'arrivée, nous tendons donc au chauffeur un billet de 200 000 dong... et il nous rend 90 000, la moitié de ce qu'il nous doit quasiment... Nous commençons à nous énerver et à le menacer d'appeler la police. Miracle, en faisant quelques mètres, Laurence aperçoit justement un commissariat. Au bout d'une demi-heure de négociations et de cris face à un policier bien ennuyé, le chauffeur nous rend notre argent, avant de nous lancer : "fuck you !". Bienvenue au Vietnam... Troisième illustration, à la pompe à essence cette fois. Le pompiste remplit le réservoir du scooter d'un Vietnamien qui nous est passé devant. Quand arrive notre tour, il se dépêche d'enfourner la pompe dans notre réservoir en omettant sciemment de remettre le compteur à zéro. Heureusement, Emmanuel a repéré sa petite arnaque et finalement, nous repartons avec une partie de l'essence gratis...
Sapa sous la brume. Conseillés par des Israéliens, à peine arrivés au Vietnam nous changeons nos plans, direction Sapa, dans les montagnes du Nord-Est. La route qui serpente les collines au milieu des rizières est d'une beauté à couper le souffle.
Malheureusement c'est la première et la dernière fois que nous verrons ces sublimes décors, en quatre jours passés là-bas. Car Sapa a une particularité : elle est toujours la tête dans les nuages... Pour Laurence qui est malade, cela ne change pas grand-chose, la vue du lit est toujours la même... Quant à Emmanuel, il se lie d'amitié avec des Belges océanographes et part avec eux en excursion dans le village de La et Ke, deux jeunes femmes de la tribu Hmong noire rencontrées au marché de Sapa (chez les Hmong, tous les prénoms sont monosyllabiques). Les trois heures de marche jusqu'à leur village permettent de se rassurer quant aux intentions de nos deux guides : elles sont réellement heureuses de nous accueillir chez elles et de nous faire découvrir leurs us et coutumes. Ke parle un anglais parfait avec un accent américain. Elle n'est pourtant jamais allée à l'école (elle ne sait pas écrire) et a appris l'anglais sur le tas en discutant avec les touristes. La est plus timide mais ne perd pas une miette de nos discussions. Toutes les deux sont mariées depuis l'âge de 15 ans et mères de famille depuis leurs 17 ans. Et elles sont apparemment dans la moyenne... Elle parlent un dialecte très différent du vietnamien et ne maîtrisent pas parfaitement la langue officielle du pays. Sans surprise, les habitations Hmong sont très sommaires. Petite particularité : ici les maisons ne sont pas sur pilotis et une sorte de mezzanine sert de dortoir à toute la famille. Pour le reste, pas d'électricité ni d'eau courante, un foyer permanent, et toutes les générations qui cohabitent sous le même toît. Aujourd'hui c'est une journée spéciale chez notre hôte Ke : le chef du village a été mandaté (contre rémunération) pour une cérémonie organisée une fois par an dans chaque foyer. Sous nos yeux médusés, il pousse une charrue à travers toute la pièce en hurlant des incantations. En plus de la famille et de notre petit groupe de touristes, Ke accueille tous ses amis et nous sommes une bonne vingtaine dans la maison. L'alcool de riz coule à flot, les femmes n'étant pas les dernières à consommer... On nous prépare un déjeuner et suivra un dîner/banquet auquel participent tous les convives. Les enfants, les femmes et les hommes ne se lassent pas de nos appareils photos numériques. Ils posent et s'esclaffent en se voyant sur l'écran. Il règne une joyeuse atmosphère quelque peu alcoolisée et on se sépare juste avant la nuit avec regret. Le lendemain, Emmanuel emmène Ke et La à une boutique d'impression de photos et les laisse choisir les clichés qu'elles souhaitent faire développer comme souvenir de cette rencontre. Il est surpris de constater qu'elles choisissent avant tout des photos de ses amis belges et lui en plus de quelques photos des membres de leurs familles : elles souhaitent visiblement conserver une trace de ces touristes étrangers avec lesquels elles se sont liées d'amitié le temps d'une soirée.
Après Sapa (que nous quittons sous une pluie battante), notre route nous mène à Hoi-An et Hue, au centre du pays. Nous n'irons pas plus au Sud, faute de temps (six mois de voyage, c'est trop court!). Hoi-An était un florissant port de marchandises jusqu'au 17ème siècle, et certaines de ses maisons ont conservé le faste de cette époque. Un quartier-musée, à l'image du Mont Saint-Michel : très beau, mais envahi de commerces. Même dans le musée des métiers (payant), les pièces exposées sont toutes à vendre !
Hue nous marque plus profondément, pas tant sa citadelle (largement en ruines) que ses tombeaux impériaux situés le long de la rivière aux Parfums, avec la nature pour écrin.
La baie d'Halong... Qui n'a pas entendu parler de cet endroit brumeux, envoûtant, romantique à souhait ? Les prix des circuits organisés eux vous ramènent sur terre : 80$ la journée par personne. Nous décidons d'y aller par nos propres moyens et économisons 130$. La balade est un peu décevante car le bateau ne s'aventure pas bien loin. Mais le lieu, sans être notre plus beau souvenir, a assurément du charme.
Ce qui en a encore plus, ce sont les environs de l'île de Cat Ba, la seule île habitée de la baie d'Halong. Après avoir marchandé sans succès une balade en voilier, nous optons pour un mode de transport beaucoup plus simple et amusant : le kayak biplace. Nous naviguons au milieu de maisons flottantes. Des pêcheurs y habitent avec leurs familles, sur quelques mètres carrés. Le reste de l'espace est occupé par des immenses bassins d'élevage. L'un de ces pêcheurs, qui parle anglais, nous invite à boire le thé chez lui. Son histoire est surprenante. Dang a vécu près de 10 ans à Vancouver, dans les arrière-cuisines des restaurants vietnamiens et chinois de la ville. Et puis un jour, les services de l'immigration sont venus le chercher et l'ont fait remonter dans un avion.
A Hanoï, Michael nous surprend en pleine séance d'internet. Michael est un ami d'Emmanuel qui vit à Singapour et qui est venu gentiment partager quelques jours avec nous. C'est l'une des rares fois où nous avons réservé un hôtel à l'avance. Mais à notre arrivée, la réceptionniste nous explique qu'un de leurs clients est malade et n'a donc pas pu quitter sa chambre. Ça nous guérit définitivement de planifier quoi que ce soit. Ce soir nous sommes de sortie; nous tentons le spectacle de marionnettes sur l'eau. Féerique vous assurera Emmanuel, original vous soutiendra Laurence, déjà vu vous soupirera Michael. Le lendemain départ pour Tam Coc, appellé aussi la baie d'Halong terrestre. Nous ne sommes pas déçus du voyage (il faut juste passer la dernière demi-heure à refuser poliment la série de nappes et de broderies que la rameuse nous met dans les mains).
Après ces deux heures de promenade fluviale, le plus dur reste à faire. Nous voulons gagner My Duc à 50 km de là, où nous attend la pagode aux Parfums. Mais il n'existe pas de bus assurant la liaison. Nous abordons donc les uns et les autres pour négocier un trajet en voiture. La fin de l'histoire ? Nous avons trouvé un chauffeur à 30$, un hôtel avec des serviettes de toilette de la taille d'un mouchoir de poche et des mamies en pèlerinage qui nous ont réveillés en jacassant à 4h du matin, et au lever du jour l'orage et des trombes d'eau comme paysage.
A quoi la pagode aux Parfums ressemble-t-elle ? Peut-être le découvrirons-nous lors de notre prochain tour du monde... Nous nous consolerons ce soir là à la cinémathèque d'Hanoï - un petit havre de paix que n'atteignent pas les klaxons. On y joue "Les amants du cercle polaire", un très bon film espagnol qui nous fait revivre, un mois et demi après notre départ, l'émotion du grand écran. Michael, qui pensait passer un petit week-end tranquille à Hanoï, repart fatigué pour Singapour, après avoir partagé notre vie de débrouille et de plans galères pas chers. On le laisse monter avec émotion dans son taxi, mais l'idée de se réveiller le lendemain au Japon chasse ces quelques minutes de nostalgie.